Ressorts comiques

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Aujourd’hui, j’ai trouvé une référence à la série Nerdz, une vague sitcom française qui passe sur la chaîne Nolife et qui parle de… nerds. J’ai regardé quelques épisodes, assez pour en conclure que ça ne me plaisait pas du tout, que c’était même pas drôle et franchement nul. Les comédiens jouent comme des acteurs de porno, les blagues sont inexistantes et les personnages caricaturaux.
Et comme j’ai découvert récemment The Big Bang Theory, qui part exactement du même point (une sitcom avec des nerds) et que j’ai été mort de rire tout au long du pilote, je me suis demandé ce qui faisait la différence entre le show américain et le show français.

Une question de moyens?
Certes la série française se passe dans un minuscule appartement avec un canapé, en plan fixe et la série américaine a plusieurs décors, y compris deux appartements complets, mais le décor est très peu exploité comme ressort comique, il sert davantage à caractériser les personnages, ce qu’un décor plus petit pourrait tout aussi bien faire. J’en veux pour preuve le fait que tout l’acte 2 du pilote se déroule entièrement dans 1 seul appartement avec les personnages assis dans un canapé.

Une question de jeu d’acteurs?
C’est vrai, les acteurs de la série américaine jouent considérablement mieux que les « acteurs » français. J’entends souvent dire qu’il n’y a pas de direction de jeu sur les plateaux français, bien que je n’aie jamais vraiment compris pourquoi. Mais, là encore, à part le confort et le plaisir qu’il y a à voir de vrais comédiens vraiment incarner leurs rôles, avec l’aisance qu’ont les acteurs américains à tenir des grimaces ou à jouer jusqu’au bout les situations les plus absurdes avec le plus grand sérieux (ce qui est un bonus comique certain), ce n’est pas une réponse satisfaisante.

Une question de personnages?
Alors que dans Nerdz, on se retrouve face à 4 cas à la limite de la pathologie clinique (la collectionneuse de poupées en porcelaine qui fréquente les sites de rencontre, l’idiot du village dont je n’ai pas compris l’utilité, le bobo amateur « d’art » contemporain et le joueur de jeux vidéo compulsifs). Ils ont des activités de nerds entre nerds, leurs discussions sont remplies d’inside jokes, de références obscures à la culture geek, de blagues lourdes et vaseuses.
A l’inverse, The Big Bang Theory met en scène des personnages au Q.I. monstrueux complètement décalés de la réalité, matheux, chercheurs au MIT, joueurs de MMORPG, socialement incompétents et confrontés à une fille « normale », provinciale descendue à L.A. pour devenir actrice et qui travaille comme serveuse dans un café.

Et c’est là que se trouve toute la différence. On ne parle jamais aussi bien d’un milieu qu’en le confrontant à un milieu opposé, on ne met jamais autant en avant les travers d’un personnage qu’en le confrontant au regard d’un personnage étranger. Pensez à toutes les comédies familiales réussies, tous les buddy movies qui fonctionnent sur ce modèle, qui fonctionnent parce qu’ils sont sur ce modèle: Midnight Run, Le Dîner de cons, Sister Act, Legally Blonde, Taxi, Meet the parents, Analyze That, regardez toutes les comédies de Veber, celles de Billy Wilder et même Molière (1, 2), Beaumarchais ou le champion des personnages issus de milieux opposés, Marivaux.

Bien sûr, ça ne suffit pas, et ce n’est pas le seul ressort dramatique, mais c’est la base de la comédie et, même, de la dramaturgie. Il faut opposer des personnages conflictuels dans leur essence pour créer des situations intéressantes. Et si l’on veut traiter d’un milieu en particulier, c’est toujours plus parlant et efficace de mettre un référent extérieur dans le lot, un loup dans la bergerie, un mouton noir, un vilain petit canard, qui permettra de mettre en exergue les éléments signifiants de la culture du groupe bien mieux que le groupe lui-même, parce qu’il fonctionne en vase clos, ne pourrait le faire.
En ne présentant que des membres du vase clos, en n’exploitant pas les possibilités de conflits qu’offrent ses personnages, Nerdz rate le coche. Les situations ne sont pas exploitées, les blagues (??) tombent à plat. Je n’ai pas souri une seule fois dans les 6 épisodes (de 5 minutes) que j’ai regardés alors que j’étais plié en deux les 3/4 du temps sur les 20 minutes que dure The Big Bang Theory.

On me dira que c’est subjectif mais l’histoire de la dramaturgie montre que l’art de la comédie réussie passe la plupart du temps par cette confrontation d’univers étrangers qui se téléscopent. Que les acteurs soient bons ou pas, que la mise en scène soit faite avec trois bouts de ficelle ou avec quarante décors, la leçon est toujours celle-ci: c’est l’architécrivain qui fait la comédie et ce n’est pas avec des personnages caricaturaux que l’on peut palier à des défauts de scénarisation.

Un problème de caricature?
Ce n’est pas la caricature en elle-même qui est en cause, les personnages de comédie sont toujours poussés à l’extrême (voyez Chaplin). Le problème vient du traitement qui est fait de la caricature. Une mauvaise caricature reste à la surface du personnage, on lui donne une caractérisation un peu originale et on reste dans le cliché. Ça va être le geek qui passe ses journées à jouer aux jeux vidéos ou le pseudo intello post-gaucho, sans autonomie critique, il prend ses idées dans Technikart et Les Crottes du Cinéma.
Dans une bonne caricature, le geek joue aux jeux vidéos mais il se sert des jeux vidéos comme instrument de drague, proposant à la fille qu’il convoite un rendez-vous dans un monde virtuel, mais il est aussi parmi les meilleurs chercheurs du MIT, il fait des soirées de KlingonBoggle et sait dire « bonne douche » en 6 langues. C’est le personnage poussé au bout de sa logique. Pourquoi rester à la surface du personnage? Tout l’intérêt de la fiction c’est de montrer des cas extrêmes.

La dramaturgie et les cas extrêmes
On ne montre pas un rat qui aime bien manger, mais un rat qui rêve de devenir chef, on ne montre pas un homme qui sous-loue son appartement à ses patrons pour leurs aventures adultères, ce qui l’empêche de vivre sa propre histoire d’amour avec sérénité, on le fait tomber amoureux de la maîtresse de son patron, on ne met pas en scène un homme qui a des tics mais un personnage perclus de tocs. Enfin, on ne montre pas un homme qui a un peu peur du vide mais un homme complètement paralysé par le vertige (et non, je ne prends pas Hitchcock pour un cinéaste de comédie, rassurez-vous).
Les exemples sont aussi nombreux que les films réussis. Une des grandes tares de la fiction française (ciné et télé), à mon avis, c’est de n’avoir pas intégré ça, de ne pas oser aller à fond dans les personnages et les situations ou alors, comme je le suggérais dans un de mes premiers posts, c’est que les scénaristes français sont paresseux. D’un autre côté, si nous touchions autant que ce qu’ils touchent, peut-être le serions-nous moins.

Et là je suis content parce qu’en cherchant quelque chose que je n’ai pas trouvé, je suis tombé sur une belle citation de Syd Field qui n’a rien à voir pour conclure:
Remember, writing is a personal responsibility: Either you do it or you don’t.”

4 Réponses to “Ressorts comiques”

  1. Ronan Says:

    J’ai trouvé votre réflexion très intéressante… Je vais donc visiter le reste du site.

  2. Manuuu Says:

    pour regarder des tas de séries, et intéressé d’autant plus par le monde des geek dont je suis issue, je suis très satisfait par Nerdz. C’est pareil pour BBT qui apporte un format plus américain et élitiste tout en offrant au grand public la possibilité de s’immiscer dans un pseudo univers de geek. Mais BBT parle juste de scientifiques extravagants qui s’opposent à une blonde pulpeuse à forte poitrine. Ca reste globalement très banal mais très efficace. Alors que Nerdz joue sur l’absurde et les silences et fait tout pour mettre à mal à l’aise le téléspectateur. C’est grosso-modo ce que j’aime dans Nerdz mais sans en comprendre les références, il est de toute façon très difficile de s’y attacher.

  3. zaza Says:

    c’est aussi simple que brillant!

  4. marcou Says:

    Bonjour, TB reflexion…cinéaste debutant j’ai apprecié votre appreciation juste et pratique…Pourriez-vous me donner conseils pour ecrire une Comédie dramatique ou Comedie comique ? Merci à vous.

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