Les décors, les décors, les décors. On me demande: « sont-ils des personnages ? » je réponds non mais j’entends la question et c’est vrai que dans une certaine mesure le décor peut prendre vie dans l’histoire. Ce qui est sûr en tous cas, c’est qu’il lui donne de la vie (à l’histoire), il la fait vibrer, il l’incarne… En tous cas quand il est bien utilisé.
La plupart des films et séries que je regarde et des livres que je lis utilisent le décor comme une simple toile de fond. Les décors y sont interchangeables, unidimensionnels, ce qui ne devrait pas arriver quand le travail est fait à fond.
Alors bien sûr, vouloir que chaque scène se passe dans un contexte qui renforce le sous-texte et contribue à la charge émotionnelle du récit, c’est un peu perfectionniste et c’est plus un idéal vers lequel tendre qu’un impératif à atteindre à chaque fois, mais c’est intéressant de se demander jusqu’où l’on peut pousser un décor, non ?
Le « bon » décor, c’est un lieu qui renforce l’action de la scène. Si on le remplace par un autre, l’action perd en impact. L’exemple que j’ai l’habitude de donner c’est: comparez une dispute dans une cuisine à la même dispute dans une bibliothèque publique. L’exigence de silence, le presque recueillement du second lieu ne peut qu’amplifier la violence de l’action.
Finissons-en avec les scènes de café et de restaurant
À l’époque où j’étais scénariste, l’un des meilleures conseils que j’ai reçu, c’était de ne pas faire de scène où les deux personnages assis à la table d’un café, discutent.
Première raison: c’est paresseux. C’est la scène par défaut. La scène que l’on a lue ou vue un milliard de fois. C’est tellement commun que ce n’est même plus un cliché, on la voit, on n’y pense pas. Rien ne permet de se souvenir de cette scène si le conflit qu’elle déroule n’est pas lui-même mémorable.
La seconde raison: c’est statique. L’art narratif, c’est l’art du mouvement. Si vous voulez donner du souffle, de la vie, du rythme à votre histoire, créez-y du mouvement. Des personnages assis et qui discutent, cela étouffe votre récit.
Bonus: une fois que vous aurez supprimé toutes les scènes statiques de vos histoires, vous pourrez les réinjecter mais cette fois pour qu’elles contrastent avec les autres, parce que les décors aussi répondent à la règle du contraste.
C’est la comparaison qui permet au lecteur de tirer du sens de ce qu’il lit (comparaison entre deux comportements d’un personnage pour comprendre son état émotionnel ; comparaison entre deux découpages narratifs pour comprendre l’énergie, la vitesse de la scène ; comparaison entre deux interactions pour comprendre la nature des relations que les personnages entretiennent).
Lorsque vous faites contraster les éléments de votre récit, vous donnez une dimension supplémentaire à votre histoire, comme l’ombre donne du relief à une illustration. Lorsque toutes vos scènes sont en mouvement, celle où les personnages s’installent pour boire un café sort du lot. Elle capte davantage l’attention, comme cette fameuse rencontre entre De Niro et Al Pacino dans Heat.
Le décor contribue au sens de l’histoire
Quand vous devez faire parler vos personnages, faites-le dans un lieu qui fasse écho à leur conversation, à la tension qui sous-tend cet échange. Vous pouvez jouer sur une symbolique évidente, comme une visite au zoo, devant l’enclos des fauves à l’heure du déjeuner, pour rappeler le rapport de forces entre un antagoniste tout-puissant et un protagoniste à bout de souffle.
Pour un parallèle plus thématique, vous pouvez faire un lien plus métaphorique et jouer sur davantage de subtilité, au risque que la nuance passe inaperçue, comme lorsque vous faites se dérouler la scène devant un spectacle de marionnette ou dans une boutique de pantins pour souligner que le personnage n’est pas maître de sa vie.
Notez que le décor n’est pas seulement le lieu qui accueille l’action, c’est aussi la vie qui s’y déroule. En utilisant l’arrière plan (ici l’action qui se déroule autour des personnages) vous contribuez à l’immersion du lecteur dans votre univers et offrez à votre histoire de nouvelles opportunités de créer du sens.
Pour un regard plus complet sur cette question: comment utiliser les décors dans le récit.